VASSEUR LEON
. LEON VASSEUR(1844 – 1917) I. BIOGRAPHIE |
BIOGRAPHIE :
La région Nord-Pas-de-Calais a toujours été une terre fertile pour la musique. De tout temps les compositeurs y furent nombreux et, dans le domaine du lyrique léger, on peut citer Pierre-Alexandre Monsigny et bien sûr Hervé. Il serait cependant dommage d’oublier Léon Vasseur qui, comme Hervé, est passé de l’orgue au théâtre où il a donné une bonne trentaine d’ouvrages dont les plus célèbres furent Le Droit du seigneur, La Cruche cassée, Le Voyage de Suzette, diverses féeries… et surtout La Timbale d’argent qui le fit connaître.
Des débuts rapides
Léon Félix Augustin Joseph Vasseur est né à Bapaume, au sud d’Arras, le 28 mai 1844, dans un milieu relativement modeste. Le père, épicier, enseigne également la musique et touche l’orgue de l’église ; il est le premier professeur de ses fils, Léon puis Jules qui deviendra aussi musicien. Grâce à l’appui d’un député local, le jeune Léon obtient, peu de temps avant le décès de son père, une bourse qui lui permet, à douze ans, d’entrer à l’école que Niedermeyer vient d’ouvrir à Paris. Là, il reçoit l’enseignement de divers professeurs dont Saint-Saëns, pour le piano et Niedermeyer pour la composition et le solfège. Il s’avère un brillant élève et, pendant les six ans qu’il y passe, il est amené à côtoyer Gabriel Fauré et Edmond Audran. En 1862, l’année de ses dix-huit ans, il quitte l’école, bardé d’un premier prix de piano et d’un premier prix d’orgue.
Léon Vasseur est aussitôt accepté comme organiste de l’église Saint-Symphorien de Versailles, où il sert pendant huit ans, avant d’être nommé, en 1870, dans le même emploi et la même ville, à la cathédrale Notre-Dame. Parmi les œuvres qu’il compose pour ces deux églises, on peut citer une vingtaine de motets, et diverses autres pièces. En 1867, il avait également fait paraître une « Méthode pour orgue ou harmonium ».
Mais la musique religieuse n’étant apparemment pas sa vocation, dès 1872, il donne sa démission pour se consacrer au théâtre. Son premier ouvrage, Un fi, deux fi, trois figurants, est un vaudeville en 1 acte de Jaime fils et Tréfeu, déjà mis en musique par Offenbach en 1855 mais jamais représenté, le compositeur lui ayant alors préféré Mesdames de la Halle. 17 ans plus tard, Jaime fils le confie à Vasseur et l’ouvrage est créé le 26 mars 1872 à l’Alcazar où il passe assez inaperçu ; mais, quinze jours plus tard, son second ouvrage qui connaît un début éclatant, lui apporte la renommée.
La Timbale d’argent
L’action de cet opéra bouffe en trois actes, composé sur un livret d’Adolphe Jaime fils et Jules Noriac, se déroule au Tyrol et peut faire songer à un mélange du Freischütz et des Maîtres chanteurs de Nuremberg ; disons-le tout de suite, elle est assez grivoise, du moins pour l’époque.
Comme chaque année, dans la commune de Groog-à-l’eau-de-sedlitz on se prépare au concours qui oppose la société de chant, dirigée par Pruth, à celle de Feldkirch, dirigée par Barnabé. Hélas, comme les années précédentes, on s’attend à un échec. Pour stimuler les participants, le juge Raab promet de donner sa nièce Molda en mariage, avec une dot de six mille florins, à celui qui rapportera la timbale d’argent, symbole de la victoire. Comme nul ne semble être au niveau, on accueille comme un sauveur un voyageur, Muller, qui s’avère doué d’une voix extraordinaire, et on promet de le combler de bienfaits s’il concourt pour le village. Comme Muller, qui revient d’un long voyage, est depuis longtemps amoureux de Molda, il accepte la proposition et gagne à la fois le prix et la jeune femme.
Au second acte, Pruth apprend par Muller qui est en fait natif de Feldkirch, le secret des victoires des rivaux. Ceux-ci ont juré de pratiquer une sévère chasteté, ce qui leur donne des voix de rossignol, alors que les chanteurs de Groogaleau se montrent beaucoup plus lascifs, d’où leur infériorité. Pruth décide d’appliquer la règle de l’abstinence à sa commune. Les chanteurs, dont il a su flatter la vanité, acceptent le serment mais cela ne fait pas le bonheur de leurs épouses, d’autant plus que celles-ci n’ont pas, comme celles de Feldkirch, un joyeux luron, Fichtel, pour les… consoler, et la tension monte. Malheureusement pour Muller, il a lui aussi fait le serment de chasteté, serment dont il ne peut se dédire qu’en payant trois mille florins, somme énorme qui l’empêche de consommer son mariage, aussi ferme-t-il sa porte à Molda.
Le lendemain, toutes les femmes, y compris Molda, viennent demander le divorce au juge Raab. Celui-ci, espérant une réconciliation éventuelle, leur conseille de passer vingt-quatre heures en tête-à-tête avec leurs maris. Puis il chapitre Molda afin qu’elle sache comment séduire son époux. Elle invite donc ce dernier à un petit souper fin et, quand il commence à s’échauffer, elle dévoile graduellement des charmes qui produisent un effet énorme. Muller, malgré les injonctions de Pruth, ne peut plus résister… Il devra donc payer son dédit mais la somme lui sera prêtée par Raab. A l’avenir le village gagnera sans doute moins de timbales mais la paix régnera dans les ménages.
Créé le 9 avril 1872 sur la scène des Bouffes-Parisiens par Anna Judic dans le rôle de Molda, Désiré dans celui de Raab, Edouard Georges dans celui de Pruth, et, en travestis, mesdames Peschard et Debreux dans les rôles de Muller et Fitchel, l’ouvrage connaît aussitôt un énorme succès populaire même si certains critiques dénoncent une partition banale et surtout un livret racoleur. C’est que ce dernier est rempli de sous-entendus grivois que la jeune Anna Judic, elle n’a alors que 22 ans, sait parfaitement mettre en valeur.
La pièce atteint sans mal les trois cents représentations. Si les interprètes et notamment Judic sont en bonne partie la cause de ce remarquable succès, l’œuvre possède néanmoins suffisamment de qualités pour lui permettre de dépasser largement nos frontières. Traduite en anglais elle est donnée à Londres sous le titre de The Duke’s Daughter et à New York sous le nom de The Silver Cup. Elle fera également les beaux soirs des théâtres de province et sera reprise à Paris, en 1897, aux Folies Dramatiques.
Un succès sans lendemain immédiat
La création triomphale de La Timbale d’argent sauve les Bouffes-Parisiens de la faillite et, reconnaissant, le directeur, Auguste Comte, montera encore sept ouvrages de Vasseur. Comte est le gendre d’Offenbach et ce dernier pense alors avoir, en plus de Lecocq qui vient de réussir aux Variétés avec Les Cent vierges, un rival supplémentaire, mais il est vite rassuré car les pièces suivantes de Vasseur ne connaissent que des succès moyens ou des échecs.
Les nouvelles créations de Vasseur sont toutes marquées par le côté grivois de La Timbale, grivoiserie relative d’ailleurs, à demi-mot, car il ne s’agit pas de provoquer la censure, mais elles ne réussissent pas à renouveler les espérances qu’on a fondées sur lui.
Mon mouchoir, en mai 1872 ; La Petite Reine, 3 actes créés en janvier 1873, un échec malgré quelques belles pages défendues par Désiré et Mmes Judic et Peschard. Le Grelot, 1 acte d’après le conte de La Fontaine, en mai 1873, peu de succès. Les Parisiennes, opéra bouffe en 4 actes, mars 1874 : un échec.
Puis viendront encore, dans les années suivantes :
La Sorrentine, opérette bouffe en 3 actes des mêmes librettistes, 24 mars 1877.
L’action se déroule à Naples. L’héroïne, Teresina, est chargée de remplacer au palais, la fiancée du vice-roi qui a été enlevée. Furieux, Lazarillo, le fiancée de Teresina, soulève la population et s’empare du palais.
Contrairement à La Muette de Portici d’Auber, tout finit par s’arranger. 38 représentations dues au talent des artistes, le livret et la musique étant jugés sans intérêt. Oublions L’Opoponax, opérette en 1 acte donnée en mai 1877 : 15 représentations !
Mam’zelle Crénom, vaudeville-opérette en 3 actes de Jaime fils et Duval, 19 janvier 1888.
Juliette Vincent, surnommée Mam’zelle Crénom, s’introduit de nuit dans la chambre d’Alexandre Serpin, afin de le compromettre et ainsi empêcher son mariage avec sa camarade de pension, Sophie, qui ne l’aime point. Finalement, c’est Juliette que Serpin épouse.
Depuis La Timbale d’argent, c’est le seul véritable succès de Vasseur aux Bouffes-Parisiens, 108 représentations. Cependant, dans cette pièce gaie, leste et très amusante, la musique n’occupe qu’une place secondaire, réduite à divers couplets, comme dans les vaudevilles.
Entre temps Vasseur est joué sur bien d’autres scènes de la capitale, avec plus ou moins de succès.
A La Renaissance
La Famille Trouillat ou La rosière d’ Honfleur. Le 10 septembre 1874, le théâtre ouvre sa saison avec cette opérette-bouffe en 3 actes de Crémieux et Blum. On a, pour le rôle de la Mariotte, engagé Thérésa, alors au sommet de sa gloire ; celle-ci impose que son nom soit écrit en caractères énormes sur l’affiche, si bien que l’on croit que l’opérette s’appelle Thérésa. La vedette s’avère piètre comédienne mais la chanteuse est applaudie dans ses cinq chansons, notamment dans « C’est les Normands qu’a conquis l’Angleterre », ce qui permet à l’ouvrage d’atteindre les 70 représentations. Quant à la musique, elle paraît remplie de réminiscences des opérettes d’Offenbach.
Ce n’est que 17 ans plus tard que Vasseur reviendra à la Renaissance, avec une nouvelle histoire de famille.
La Famille Vénus. C’est une opérette-vaudeville en 3 actes et 4 tableaux sur un livret de Clairville et Bénédite, créée le 2 mai 1891. Malgré ce que pourrait laisser supposer son titre, l’intrigue est tout à fait contemporaine.
Les membres d’un groupe d’Italiens servent de modèles dans les ateliers de peintres et l’un d’entre eux, une fort jolie personne nommée Frisette, doit à sa beauté de poser pour les Vénus.
La pièce est amusante et la musique alerte avec un gentil duo, une chanson dialoguée et une agréable valse, le tout mené avec beaucoup de charme par Mlle Decroza dans le rôle de Frisette. 47 représentations.
Aux Folies Dramatiques
La Blanchisseuse de Berg-op-Zoom. Opéra-comique en 3 actes de Chivot et Duru donné le 27 janvier 1875.
Van der Pruth ayant surpris un riche brasseur, Van der Graff, en train d’escalader le balcon de sa fille, la blanchisseuse Guillemine, l’oblige à l’épouser. A force de ruses la jeune fille finit par vaincre les répugnances de son mari et à s’en faire adorer.
La partition est jugée très banale et manquant de gaieté, d’autant plus qu’elle succède à La fille de madame Angot, et seuls un chœur de blanchisseuses et les couplets de l’héroïne « Vous êtes la sagesse » échappent à la platitude. 50 représentations.
Le Petit Parisien. Opéra-comique en 3 actes de Burani et Boucheron, à l’intrigue tarabiscotée, donné le 16 janvier 1882.
Le Prince de Bagneux ( ?) passe ses nuits à faire les quatre cents coups avec une bande de vauriens qui l’ont surnommé le Petit Parisien. Il finit par épouser la princesse de Parme que son père lui destine et qu’il a jusque-là toujours refusé de voir, mais dont il est épris sans savoir qui elle est.
Parmi les créateurs : Mme Simon-Girard, Maugé et Simon-Max. 65 représentations.
Madame Cartouche. Trois actes de Busnach et Decourcelle, peu vraisemblables mais gais.
Nous sommes au XVIIIe siècle. Sylvine, l’étoile du théâtre de Montargis a été enlevée par un lieutenant du bandit Cartouche pour devenir, paraît-il l’épouse d’un grand seigneur. Mais la jeune femme, en habile comédienne et sous divers déguisements, noue et dénoue les intrigues, rendant la justice à sa façon.
La pièce est dotée d’une musique agréable, une des meilleures depuis La Timbale d’argent, dont on peut détacher, au premier acte, le duo « Dis-moi comment l’amour t’a pris » et un duo bouffe ; au second : un amusant chœur de brigands et un boléro en sextuor qui est bissé et, au troisième le joli duo du rossignol, accompagné par la flûte et le basson. Créée le 19 octobre 1886, avec Gobin et surtout Mme Grisier-Montbazon, l’œuvre atteint les 108 représentations.
Mais revenons quelques années plus tôt avec un autre théâtre et un vrai succès.
Au Théâtre Taitbout
Voulant marquer un coup médiatique, le nouveau directeur de ce petit théâtre agrandit la salle et constitue une troupe en débauchant les vedettes des autres théâtres. Il fait appel à Léon Vasseur, pour mettre en musique un livret en 3 actes de Moinaux et Noriac : La Cruche cassée. L’intrigue est inspirée du célèbre tableau de Greuze portant le même nom, mais les allusions grivoises sont si nombreuses et évidentes que la censure oblige les librettistes à revoir leur texte.
La jeune Colette a perdu son innocence avec un galant chevalier, disgrâce symbolisée par une cruche fendue avec laquelle elle entre en scène au premier acte. Cela ne l’empêchera pas, après divers rebondissements, d’épouser Hilaire, son fiancé.
Les détails croustillants sont rachetés par beaucoup d’esprit et par le talent de l’héroïne, Céline Chaumont. De la musique où abondent les morceaux agréables, écrits avec une recherche de détails, on retiendra surtout le boléro espagnol du troisième acte. La création, le 27 octobre 1875, est un grand succès mais, au début de février, peu avant la centième, Céline Chaumont tombe malade ; sa remplaçante n’ayant pas son charisme, la pièce perd de son intérêt et la salle ses spectateurs. Cependant elle connaîtra plusieurs reprises. Le directeur est remplacé par Hippolyte Nazet qui, peu après, monte une nouvelle pièce de Vasseur.
Le Roi d’Yvetot. Cet opéra-bouffe en 3 actes de Chabrillat et Hémery avait en fait été créé deux ans et demi plus tôt à Bruxelles, le 25 octobre 1873, pour quelques représentations. La création parisienne, le 3 avril 1876, malgré les talents de MM Bonnet, Gobin, Mmes Prelly et Desclauzas, n’obtient qu’un succès moyen, mais la pièce est ensuite donnée une dizaine de fois à Bordeaux avant d’être reprise à l’Ambigu.
Aux Fantaisies-Parisiennes.
Le Droit du seigneur. Donné le 13 décembre 1878, cet opéra-comique en 3 actes de Burani et Boucheron connaît un succès invraisemblable en totalisant 229 représentations. Encore une pièce des plus égrillardes au cours de laquelle deux barbons se disputent un « droit du seigneur » auprès de la charmante Lucinette. Mais si l’intrigue est fortement embrouillée, elle est aussi très amusante et relevée par une musique tout à fait plaisante dont plus d’un morceau est bissé. Citons entre autres la légende des ancêtres : « S’ils donnaient de grands coups de lance», les couplets du coquelicot : « Ma mère, Dieu lui fasse grâce ! », la valse « Cette fête, quel honneur » ou le chœur des chasseurs « Au milieu des bois. » La pièce sera d’ailleurs reprise à la Gaîté, en 1884 pour une quarantaine de représentations.
L’année suivante, Les Fantaisies-Parisiennes affichent Le Billet de logement, une nouvelle pièce de Vasseur, un nouveau succès dont la vedette est mademoiselle Humberta. L’action se déroule dans le château des Montagnac, à Barcelonnette.
Le jeune et naïf baron Sulpice, a épousé depuis douze jours la charmante Hélène mais ne pourra consommer son mariage que dans la chambre du château où sont nés ses ancêtres. La jeune fille voit cependant d’un œil favorable la cour que lui fait le capitaine Gontran qui se fait assigner le château pour logement. La nuit de noces est sans cesse perturbée par les allées et venues de nouveaux personnages, donnant lieu à de nombreux quiproquos, surtout lorsque la lumière disparaît. Gontran ayant giflé son colonel doit être fusillé mais il est sauvé par le fait qu’il est un fils illégitime de François Ier ; finalement c’est lui qui épouse Hélène.
La pièce, montée avec luxe et avec goût, comportant de jolis costumes et des décors soignés, plaît au public, même si la distribution n’est pas toujours à la hauteur. 102 représentations.
Quelques années après son passage au théâtre Taitbout, Léon Vasseur fait l’acquisition de cette salle, en 1879, pour y faire représenter des ouvrages en un ou deux actes. Il la réaménage quelque peu pour y inclure un étage réservé aux femmes, celles-ci ne pouvant, comme dans bien d’autres théâtres de l’époque, siéger à l’orchestre. Rebaptisé théâtre du Nouveau-Lyrique, la salle est inaugurée le 4 novembre. Les véritables débuts du théâtre ont lieu quelques jours plus tard avec la création de Hymnis, une comédie lyrique en un acte de Théodore de Banville mise en musique par Jules Cressonnois. La pièce est un échec. Le 29 novembre, faute de recettes suffisantes, le théâtre est fermé, avec pour prétexte, les répétitions d’un nouvel ouvrage de Vasseur, Colubra, qui ne sera jamais joué. Existence éphémère d’un théâtre dont notre compositeur ne tarde pas à se défaire.
Peu après, en mai 1880, Léon Vasseur, succédant au célèbre compositeur de valses Olivier Métra, est engagé comme chef d’orchestre aux Folies Bergère pour lequel il compose divers ballets, mais en mai 1881 le music hall change de registre pour donner des concerts de musique classique afin de « vulgariser… les chefs-d’œuvre mélodiques, harmoniques, lyriques et symphoniques tant anciens que modernes. » Vasseur partage alors la direction de l’orchestre avec André Messager. La nouvelle formule ne plaisant guère au public, les Folies Bergère retournent à leur ancienne formule quinze jours plus tard.
Féeries et grands spectacles
A partir de 1885, Léon Vasseur est souvent sollicité pour accompagner les spectacles donnés au Châtelet ou à la Gaîté. Le premier s’est spécialisé dans les féeries, genre que le second aborde également au milieu d’une production beaucoup plus éclectique. Ces féeries sont des pièces à grand spectacle dans lesquelles les auteurs s’ingénient à éblouir les spectateurs par la somptuosité des décors, des costumes et des mises en scène, par la présence de « clous » et d’une figuration nombreuse entourant une ou plusieurs vedettes. L’intrigue des pièces n’y est que secondaire ; quant à la musique, si elle n’est pas une simple musique de scène, elle reprend souvent des airs connus de chansons ou opérettes agrémentés de nouvelles paroles. Rares sont les compositeurs écrivant des partitions complètes, Offenbach faisant exception avec son Voyage dans la Lune ou Orphée aux Enfers seconde version. La musique de Vasseur, légère, gaie et sans façon se prêtera bien à ce genre.
Le Mariage au tambour, opéra-comique militaire en 3 actes de Paul Burani, est donné le 4 avril 1885 sur la scène du Châtelet qui désire alors aborder, mais néanmoins avec éclat, un genre plus léger que les habituelles féeries.
L’intrigue se déroule pendant la Révolution. Lambert, brave sergent, épouse au son du tambour Louise d’Obernay, une émigrée dont il s’est épris, ce qui sauve la vie de la jeune femme. Mais Louise n’a accepté ce mariage que pour faire évader son frère qui est placé sous la garde de Lambert. Le sergent est arrêté et condamné à mort pour manquement grave à son devoir mais il fait le serment de mourir en combattant les ennemis de la patrie. Comme il se couvre de gloire, la Convention le gracie et le nomme général. Louise a disparu avec son frère et ce n’est que plusieurs années plus tard que Lambert, autant animé par l’amour que par la haine, la retrouve. Après une altercation houleuse, le jeune homme finit par pardonner à celle qui est malgré tout sa femme.
Si la distribution laisse à désirer, le public apprécie le spectacle, la mise en scène soignée et la qualité de la musique : « M. Léon Vasseur a de la verve et de la distinction ; il a, qui mieux est, des idées et une grande somme de ressources harmoniques… » notent Noël et Stoullig qui relèvent également les meilleures pages. Cela fait longtemps que Vasseur n’a pas connu de telles louanges. Cependant la pièce, qui est d’un format classique, paraît un peu perdue sur l’immense scène du Châtelet, où elle n’est donnée que 41 fois, avant de trouver un cadre lui convenant mieux aux Folies-Dramatiques où elle connaît encore 34 représentations.
Le Petit Poucet. C’est d’abord une opérette de Leterrier et Vanloo, musique de Laurent de Rillé, donnée à l’Athénée en 1868, que les librettistes, auxquels s’est adjoint Arnold Mortier, ont transformée en une féerie en 4 actes et 32 tableaux, donnée à la Gaîté le 28 octobre 1885. Outre les choristes, figurants et danseurs, la pièce ne comprend pas moins de 33 personnages.
L’intrigue reprend celle du conte de Perrault, avec le Petit Poucet, rôle confié à une fillette, la petite Duhamel « qui connaît ses planches comme une vieille cabotine » (Noël et Stoullig), sa protectrice, la magicienne Sylvana, et l’ogre Bouf-Bouf, joué par Baron. Ce dernier a un cuisinier-confident, Truffentruffe, qui trompe continuellement son patron en lui faisant manger du veau au lieu de jeunes gens. Le spectacle est bien sûr émaillé de « clous » : un décor de fond qui s’abaisse lentement pour donner l’impression que le Petit Poucet grimpe sur un arbre immense, un saisissant défilé de bottes de sept lieues aux sons de la marche d’Aïda et de « Il a des bottes Bastien », un bombardement pyrotechnique… et, au troisième acte, un superbe divertissement dansé, « Le ballet des contes de fées » composé spécialement par André Messager. Bien d’autres musiques complètent les airs de Léon Vasseur ici associé à Ben Tayoux : la « polka des Volontaires » de Métra, le duo de la Mascotte, la romance de Mignon, le duo des gendarmes d’Offenbach… Le public sort enchanté de cette féerie pour petits et grands qui se donne 261 fois, avec une reprise de 62 nouvelles représentations en 1891
La Brasserie. Il s’agit d’un ballet-pantomime en 1 acte qui est créé avec deux autres ballets, Il n’y a plus d’enfants, de Mariotti, et La fille mal gardée de Heurtel (5), dans l’immense salle de l’Eden-Théâtre (4000 places), le 18 septembre 1886. Par rapport aux deux autres ouvrages, « la musique de M.Vasseur est au moins de la vraie musique : il y a même, dans sa petite partition, quelques recherches archaïques qui ne sont pas sans saveur. » (Noël et Stoullig). 38 représentations
Le Prince Soleil. Nouvelle féerie en 4 actes et 22 tableaux de Hippolyte Raymond et Paul Burani, donnée au Châtelet le 11 juillet 1889.
Le prince Soleil est un prince indien dont le royaume a su résister jusqu’à présent à la domination de l’Angleterre. Par ruse, cette dernière incite alors le rajah récalcitrant à envoyer son fils voyager en Europe où il s’éprend d’Ellena, la fille d’un savant suédois. Le rajah ayant appris le plan des Anglais, charge Misaour de ramener son fils. Débute alors un long voyage autour du monde nourri de multiples péripéties, tragiques ou comiques, pittoresques ou émouvantes, de quoi satisfaire tous les goûts.
Costumes chatoyants, décors superbes, ballets remarquables, « clous » tels que le naufrage d’un paquebot ou le jardin des fleurs de Yokohama, artistes appréciés, musique vive et entraînante… ravissent à nouveau un public abondant dont bon nombre d’étranger venu visiter l’exposition universelle. 215 représentations.
Le voyage de Suzette. Retour à la Gaîté pour cette opérette à grand spectacle donnée le 20 janvier 1890, 3 actes et 11 tableaux de Chivot et Duru (ce dernier décédé trois semaines plus tôt).
Verduron et Blanchard, deux grands amis depuis l’enfance, nés, mariés et pères le même jour, se sont jurés de marier leurs deux enfants, Suzette pour le premier, avec André pour le second. Mais tandis que Blanchard vit en Perse et est riche à millions, Verduron a échoué comme simple maître d’école. Aussi est-il heureux que le seigneur Giraflor lui demande la main de sa fille, ce qui ne réjouit guère cette dernière. Deux heures avant le mariage, débarquent deux envoyés de Blanchard qui viennent pour honorer la promesse de mariage faite à la naissance des enfants et pour cela embarquent les principaux intéressés pour la Grèce où les attend Blanchard. S’en suivent de nombreuses péripéties : complot de Giraflor, enlèvement de Suzette par des bandits, jalousie d’une rivale, somptueuse fête orientale, harem d’Omar-Pacha, grand défilé de cirque comportant plus de cent figurants…
Le public est subjugué par ce qu’il voit et entend car le spectacle comprend des artistes renommés comme Madame Simon-Girard, la belle Conchita Gélabert, le comique Mesmaker et Simon-Max. Là encore la musique emprunte ses morceaux à Offenbach, Lecocq, Hervé, Varney, Strauss, Lacôme, Suppé… et à Vasseur qui conduit l’orchestre. 374 représentations sur deux ans. L’ouvrage sera également repris au Châtelet, 110 représentations en 1901 et 47 en 1907.
Le Pays de l’or. Nouvelle pièce à grand spectacle pour la Gaîté, en 3 actes et 14 tableaux de Chivot et Vanloo, donnée le 26 janvier 1892. L’action est dans la même veine que la précédente mais cette fois le voyage se fait vers l’Amérique.
Kitty, héritière d’une mine d’or en Californie, est enfermée dans une pension par son oncle Gibson. Mais l’exubérante jeune fille s’en échappe et, munie d’une lettre de recommandation volée, est engagée comme femme de chambre par une chanteuse qui se rend en Amérique. John et Tom Truck, d’une célèbre agence essaient de la devancer pour s’emparer de la mine.
Là encore les péripéties multiples, doublées d’une intrique amoureuse, s’enchaînent, prétextes à pantomimes, défilés et chansons dans des décors éblouissants. Parmi les « clous », citons l’arrivée dans la rade de New York, un numéro d’équilibriste sur fil au-dessus des chutes du Niagara, une équipée risquée au milieu des sauvages, la baie de San Francisco illuminée… Les artistes principaux en sont Alexandre, habile chanteur, Fugère, irrésistible, Madame Gélabert, qui chante avec brio, Madame Cassive, superbe, mais dont il paraît regrettable qu’elle ait à chanter et à parler. Toute la musique est de Vasseur, musique agréable et facile mais, comme dit un critique, « en s’embarquant pour New York, on ne songe pas à chanter du Wagner ! » 143 représentations.
Les derniers ouvrages
Entre-temps, Vasseur a également produit, dans d’autres théâtre, divers ouvrages sur lesquels nous passerons plus rapidement :
Aux Nouveautés : Ninon, un opéra-comique en 3 actes de Blavet, Burani et André, chanté par Mlle Théo en mars 1887 ; il ne tient que 3 semaines, et Paris-Attraction, une revue en 3 actes de Burani, Clerc et Lemonnier, donnée en novembre 1889 ; 38 représentations.
Au Palais Royal : Le Commandant Laripète, un opéra-bouffe de Silvestre, Burani et Valabrègue, mars 1892, 12 représentations.
Au Nouveau-Théâtre : La Prétentaine, vaudeville en 4 actes avec ballet de Ferrer et Bénédite-Jancourt, octobre 1893, musique jugée banale et prétentieuse, mais un certain succès dû aux interprètes.
Dans la dernière partie de sa carrière, Vasseur produit des ouvrages plus modestes, des opérettes en un actes, essentiellement, pour les music-halls de la capitale mais aussi pour la province :
A la Scala : Royal-Amour (novembre 1884) et Au chat qui pelote (août 1897) ; à La Cigale : Le royaume d’Hercule (novembre 1896) ; à l’Eldorado : Dans la plume (novembre 1898).
En province : La Corde, comédie en 3a de Lucien Puech, aux Célestins de Lyon en juin 1896, et Au premier hussard, opéra-comique de M. Ordonneau, au Casino de Saint-Malo en août 1896.
Un dernier succès honorable pour Vasseur, co-compositeur avec un certain Thuisy, de La Souris blanche, opérette en 3a de Chivot et Duru donnée au Théâtre Déjazet le 9 novembre 1897.
Rosette Paimpol, surnommée la « Souris blanche » pour son habitude de fureter partout, est la nièce d’un agent de police, métier qu’elle aurait aimer exercer si elle avait été un homme, aussi s’applique-t-elle à démêler une complexe affaire de vol dans laquelle son fiancé, le peintre Paul Verdier est impliqué à tort. Cette joyeuse bouffonnerie, bien interprétée connaît 60 représentations
Nous retrouvons le même Thuisy aux côtés de Vasseur pour Une excellente affaire, un vaudeville-opérette donné le 22 février 1899 aux Folies-Dramatiques. Un four noir, six représentations ! cette Excellente affaire n’en était pas une ! Ainsi s’achève la carrière longue mais fort inégale de notre compositeur.
Léon Vasseur s’était marié deux fois. Il s’éteint le 30 juillet 1917 dans son domicile d’Asnières. Ne pouvant être inhumé à Bapaume, la ville se trouvant encore dans la zone des combats, ses obsèques ont lieu provisoirement à Asnières ; mais quelques années plus tard son corps est rapatrié dans le caveau qu’il avait fait construire pour ses parents et pour lequel il avait commandé au célèbre sculpteur Carrier-Belleuse une grande statue allégorique intitulée « La lyre brisée ». La tombe est aujourd’hui à l’abandon mais, nettoyée et restaurée, la statue a été placée dans le hall de la mairie de Bapaume.
Célèbre au XIXe siècle, Léon Vasseur est de nos jours complètement tombé dans l’oubli. Il est vrai qu’il devait davantage ses succès à ses interprètes, à ses librettistes et à son sens scénique plus qu’à l’originalité de son style mais il avait su représenter la gaieté et l’insouciance dont Paris avait besoin après l’amère défaite de la Guerre de 1870.
D’ après un article de Bernard Crétel, revue Opérette n° 168.
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OEUVRES LYRIQUES :
Légende : opé = opérette, oc = opéra-comique, ob = opéra-bouffe, bm = bouffonnerie musicale, rev = revue, sc = scène, fant = fantaisie, v = vaudeville, p féerie = pièce-féerie
Le chiffre indique le nombre d’actes – « opé 5/10″ veut dire « opérette en 5 actes et 10 tableaux »
Création | Titre | Auteurs | Nature | Lieu de la création |
1872 26 mars |
Un fi, deux fi, trois figurants | Jaime fils (Adolphe) et Tréfeu | v 1 | Paris, Alcazar |
1872 9 avril |
Timbale d’argent (la) | Jaime fils (Adolphe), Noriac (Jules) | ob 3 | Paris, Bouffes-Parisiens |
1872 9 mai |
Mon mouchoir | Jaime fils (Adolphe) | 0pé 1 | Paris, Bouffes-Parisiens |
1873 9 jan |
Petite Reine (La) | Jaime fils (Adolphe), Noriac (Jules) | 0c 3 | Paris, Bouffes-Parisiens |
1873 21 mai |
Grelot (Le) | Bernard (Victor), Grangé (Eugène) d’après La Fontaine | opé 1 | Paris, Bouffes-Parisiens |
1873 25 oct |
Roi d’Yvetot (Le) | Chabrillat (Henri), Hemery (Emile) | ob 3 | Bruxelles |
1874 31 mars |
Parisiennes (les) | Moinaux (Jules), Koning (Victor) | ob 4 | Paris, Bouffes-Parisiens |
1874 10 sept |
Famille Trouillat (La) ou La rosière d’Honfleur | Crémieux (Hector), Blum (Ernest) | ob 3 | Paris Renaissance |
1975 25 jan |
Blanchisseuse de Berg-op-Zoom (La) | Chivot (Henri), Duru (Albert) | oc 3 | Paris, Folies-Dramatques |
1875 27 oct |
Cruche cassée (La) | Noriac (Jules), Moinaux (Jules) | oc 3 | Paris, Taitbout |
1876 3 avril |
Roi d’Yvetot (Le) | Henri Chabrillat (Henri), Hemery (Emile) | ob 3 | Paris, Théâtre Taitbout |
1877 24 mars |
Sorentine (La) | Moinaux (Jules), Noriac (Jules) | ob 3 | Paris, Bouffes Parisiens |
1877 2 mai |
Opoponax (L’) | Busnach (William), Nuitter (Charles) | opé 1 | Paris, Bouffes Parisiens |
1878 13 déc |
Droit du seigneur (Le) | Burani (Paul), Boucheron (Maxime) | oc 3 | Paris, Fantaisies-Parisiennes |
1879 15 nov |
Billet de logement (Le) | Burani (Paul), Boucheron (Maxime) | oc 3 | Paris, Fantaisies-Parisiennes |
1881 10 fév |
Mariage de Groseillon (Le) (1) | Grangé (Eugène), Delacour | pochade | Paris, Nouveautés |
1882 16 jan |
Petit Parisien (Le) | Burani (Paul), Boucheron (Maxime) | opé 3 | Paris, Folies-Dramatiques, |
1884 10 nov |
Royal-Amour | Lagrange (P.), Trogoff (Christian de) | opé 1 | Paris Alcazar |
1885 4 avrl |
Mariage au tambour (Le) | Burani (Paul), d’après un vaudeville d’Alexandre Dumas, Leuven et Brunswick, | opé milt. | Paris, Châtelet |
1885 28 oct |
Petit Poucet (Le) | Leterrier (Eugène), Mortier (Arnold), Vanloo (Albert) | féerie 4/32 | Paris, Gaîté |
1886 18 sept |
Brasserie (La) | Narrey (C.) | ballet | Paris, Eden |
1886 19 oct |
Madame Cartouche | Decourcelle (Pierre), Busnach (William) | opé 3 | Paris, Folies-Dramatiques |
1887 27 mars |
Ninon | E. Blavet E.), Burani (Paul), André (Emile) | oc 3 | Paris, Nouveautés |
1888 19 jan |
Mam’zelle Crénom | Jaime fils (Adolphe), Duval (Georges) | v op 3 | Paris Bouffes-Parisiens |
1889 11 juil |
Prince Soleil (Le) | Raymond (Hippolyte), Burani (Paul) | féerie 4/22 | Paris, Châtelet |
11889 nov |
Paris-Attraction | Burani (Paul), Clerc (E.), Lemonnier | rev 3 | Paris, Nouveautés |
1890 30 jan |
Voyage de Suzette (Le) (2) | Chivot (Henri), Duru (Alfred) | opé 3 | Paris, Gaîté |
1891 2 mai |
Famille Vénus (La) | Clairville ‘Charles), Bénédite-Jancourt (Raoul) | opé-v 3 | Paris, Renaissance |
1892 26 jan |
Pays de l’or (Le) | Chivot (Henri), Vanloo (Albert) | opé 3/14 | Paris, Gaîté |
1892 3 mars |
Commandant Laripète (Le) | Armand Silvestre (Armand), Burani (Paul), Valabrègue (Albin) | ob | Paris, Palais Royal |
1893 10 oct |
Prétentaine (La) | Ferrer (Paul), Bénédite-Jancourt (Raoul) | v 4 | Paris, Nouveau Théâtre |
1894 juin |
Corde (La) | Ordonneau (Maurice) | com | Lyon, Célestins |
1896 6 août |
Premier hussard (au) | Ordonneau (Maurice) | oc 1 | Saint-Malo, Casino |
1896 20 nov |
Royaume d’Hercule (Le) | Quinel (Charles), Dubreuil (René) | opé 1 | Paris, La Cigale |
1897 28 août |
Au Chat qui pelote | Oudot (Jules), de Gorsse (Henri) | opé 1 | Paris, La Scala |
1897 9 nov |
Souris blanche (La) (2) | Chivot (Henri), Duru (Alfred) | opé 3 | Paris, Théâtre Déjazet |
1898 17 nov |
Dans la plume | Kok (Pierre) | opé 1 | Paris, Eldorado |
1899 22 fév |
Excellente affaire [2] | Clairville fils (Charles), Bocage (Henri) | fant 2 | Paris, Folies-Dramatiques |
[2] avec le marquis Thuisy